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Battants sur le toit
22 août 2006

Giacometti et le volume

Giacometti_photo_1_Giacometti n’attendait pas de l’art, -ce mot souvent débordé par les sens qu’on lui attribue, concept flou, que nous formulons en fait pour faire entendre des attentes contradictoires qui ne peuvent cependant se formuler autrement que dans cette confusion même-, un divertissement, ou quelque chose de décoratif. Ce qu’il en attendait pourrait se résumer ainsi : la création d’une présence à la fois intemporelle et la plus insolite, à la fois la plus archaïque et la plus inédite. C’est en «informant » au sens grec du terme, la matière qu’elle prenait forme. Selon lui, c’était dans cette amorphe prolifération que ces corps  enracinés dans leurs propres tourments semblent naître ex nihil d’une pure concrétion minérale….

Giacometti ne parle presque jamais d’art dans ses notes, il parle d’autre chose, de ce qu’il voit, revenant sur son voir, sur ce qui oblitère la vision des choses, ce dont il parle c’est d’Annette et de Diego, de son travail, presque coupable de faire pauser précisément son frère pendant des heures, de fatiguer Annette. Il leur donnait congé pendant les séances, allait boire un café, remontait le boulevard Montparnasse à la vitesse d’un cyclone avec sa belle chevelure argentée, retrouvait Picasso, de temps à autres à la Coupole, griffonnait les esquisses de ses futures sculptures sur les nappes boursouflées qu’il n’emportait presque jamais. Après cette quotidienne marche, il se remettait à son ouvrage : avec la peur aux mains que la matière ne résistât pas et qu’elle ne s’effritât là sous ses yeux. Il a vécu dans ce drame constant d’une matière friable, fragile dès qu’elle séchait…Plus vivante que jamais quand elle devenait « impalpable », quand le point « limite » était atteint et que la « statue » devenait intouchable, peut-être à prendre dans les sens connus, quand délivrée elle pouvait enfin se tenir debout dans sa solitude… Non, comme disait souvent Giacometti, sans ce rapport de proportions à trouver entre des pieds aussi massifs qu’un socle, aucun « corps » aussi chétif, malingre, aucune tête aussi émaciée, "ossesuse" à force de retouches, aussi aplatie, comparable à une tête d’épingle, n’aurait pu en assurer le maintien. Il faut voir les bustes de Diego dont la tête comprimée, qui finissent  par suggérer une « galette ».

giacometti_buste_diego_1954_1_D.R.

Giacometti parvient par un tour de force inouï à faire disparaître le volume par le flou d’un torse presque disparu, par l’exiguïté d’une tête pourtant si précise en ses traits. Paradoxe d’un volume qui nous semble si proche physiquement et imprenable visuellement… Le proche et le lointain cohabitent ici, dans une distance qui ne peut être parcourue entre un torse, une tête, et des pieds plantureux tant la distance est grande.

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