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Battants sur le toit
9 décembre 2006

« La poésie doit être faite par tous. Non par un. »

Jacques Sivan a publié Le corps-bibliothèque dans la revue Mettray du nom de la tristement célèbre colonie, sur laquelle je reviendrai, en attendant voici un texte que j'aurai voulu écrire, Rimbaud-Lautréamont m'ayant accompagnée et détournée d'un présent audacieux, il ne faisait beau que grâce eux! Je remercie de le cipM de Marseille d'avoir mis ce texte à notre disposition...

Bonne lecture! (Remise en forme du texte à 00:30)

Jacques Sivan

le corps-bib liothèque

une bibliothéconomie de la langue

"La poésie doit avoir pour but la vérité pratique."

Lautréamont,

Poésies II

I

« La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. » Je ne sais pas

vraiment pourquoi mais j’ai toujours considéré ce vers de Mallarmé,

extrait de

un devenir fictionnel (la fiction est une réalité), que j’appellerai

jacques, autogère et génère sa multiplicité proliférante en

l’expérimentant quotidiennement entre autres régimes de langue

selon le registre poétique et bibliothéconomique.

Dès la seconde moitié du dix-neuvième siècle, la poésie française

fait état d’un malaise dû à l’effet de saturation d’un sujet clos dont

l’unicité est apparue de plus en plus illusoire, voire dangereuse, tant

le nombre toujours croissant des noms qui peuplent le moi, le

surpeuplent – le surdimensionnent devrait-on dire – boursoufle sa

chair.

Époque des « Grandes Têtes Molles » disait Lautréamont.

Lautréamont, Mallarmé mais bien sûr aussi Rimbaud, chacun vit

selon son mode de fonctionnement (mode mineur ou mélancolique

chez Mallarmé, mode majeur ou révolté chez Rimbaud et

Lautréamont), dénonce, mais surtout, prend en compte la

multiplicité du réel que nous sommes, en expérimentant de

nouvelles formes d’économie verbale et en tentant de mettre au

point un dispositif permettant d’en faciliter les flux, d’en préserver

ou aménager les écarts, d’en ajuster les mécanismes.

Dans

enjeux des je qui animent un sujet forcément problématique parce

que toujours instable et donc fictionnel puisqu’il produit et n’est

que le produit de situations dont la variabilité quasi incontrôlable

ne cesse à tout instant de le dédire. De son côté, dans

Brise marine, comme étant le point nodal à partir duquelUne saison en enfer, Rimbaud met l’accent sur les jeux et lesPoésies,

Lautréamont, considérant que « la poésie est la géométrie par

excellence », met en évidence et active certains fonctionnements et

les corrige : « Je prends à part les plus belles poésies de Lamartine,

de Victor Hugo, d’Alfred de Musset, de Byron et de Baudelaire, et je

les corrige dans le sens de l’espoir ; j’indique comment il aurait fallu

faire. » Afin de dégonfler la langue de tout pathos subjectif, qui

l’engorge et la paralyse, Lautréamont utilise des procédés

mécaniques et logiques tels que l’emploi de séries, de la symétrie,

du dédoublement, de la répétition ou du renversement.

De son côté, Mallarmé, dans

fonctionnements mécaniques aptes à gérer, à partir de la question

du livre, et de façon tout à fait pragmatique, l’hétérogénéité

évolutive du monde que nous sommes. Cette mécanique fort

complexe intègre et met concrètement à l’épreuve tous les

paramètres du

nécessitant un meuble conçu à cet effet afin qu’elles puissent être

exposées, agencées et lues selon un mode de lecture centripète et

centrifuge, puis selon ce même mode mais inversé ; mode de

diction élaboré ; agencement du lieu où ce livre va être, il faut bien

le dire, performé (lustre, nombre de spectateurs, emplacement du

meuble, etc.), nombre d’exemplaires, prix, etc., le tout faisant oeuvre.

Tous ces agencements, jamais acquis, toujours en cours de

réinvention, à la fois joués ou scénaristiques, logiques, mécaniques

débloquent la multiplicité des régimes de langue pour mieux les

faire jouer entre eux. Ils favorisent des télescopages de savoirs

parfois contradictoires. Or ce sont ces effets d’amplitude, de rupture,

de perte, d’excès calculés et vécus comme des déséquilibres, des

chaos qui instaurent un espace pluriel, troué, transformant l’espace

poétique en un véritable « ministère des coïncidences » dirait M.

Duchamp.

II

De façon tout aussi pragmatique, tout écrivain, étant au moins le

bibliothécaire de sa propre bibliothèque, a le souci de rendre celleci

opératoire. Cette bibliothèque a ceci de particulier que le choix

et l’ordonnancement qui la caractérisent s’opèrent selon les

nécessités propres aux divers réglages des régimes de langue que le

poète met au point. De sorte que la langue effectue par elle-même

un véritable travail bibliothéconomique. En se réécrivant, en

favorisant son autorégulation, l’écriture poétique bouleverse et

réajuste inlassablement les pratiques et les savoirs du monde qui

l’agit et qu’elle renouvelle.

Il va sans dire que la bibliothèque de tout écrivain manifeste, par ses

manques ou par ses surplus, par sa cohérence mais aussi par son

incohérence, l’incroyable diversité et hétérogénéité d’autres

bibliothèques possibles ou réelles et générées elles aussi par d’autres

reformulations de l’économie verbale, par d’autres nécessités

fonctionnelles : nécessité visuelle, purement sonore, narrative,

lyrique, concrète, numérique, etc., pour ne rester que dans des

cadres généraux et approximatifs.

Ce problème, parce qu’il est essentiellement celui de la langue, est

au coeur des préoccupations du poète et du bibliothécaire. C’est la

raison pour laquelle j’ai voulu être poète et bibliothécaire. L’un et

l’autre, chacun à sa façon, ont pour mission de proposer un espace

toujours à repenser, toujours à renouveler, à redistribuer pour faire

interagir selon des modes toujours à redéfinir la multiplicité des

jeux de langage qui animent et renouvellent, non sans heurts ni

conflits, le monde. Espace incertain, improbable certes ! Existe-t-il

une bibliothèque idéale, un agencement verbal définitif facilitant le

réagencement perpétuel du monde ?

La bibliothèque de tout poète étant la bibliothèque de

est savoureux de constater que tout écrivain invité chez un autre

écrivain ne tarde pas, lorsque l’occasion se présente, à examiner la

bibliothèque de son hôte. D’une part, ce besoin s’avère

indispensable s’il souhaite situer très concrètement, mais

approximativement, parmi l’infinité des régimes de langue, ce

dispositif singulier. D’autre part, sa curiosité lui permet de faire le

point sur l’agencement et le contenu de sa propre bibliothèque,

laquelle, envisagée depuis cet autre lieu (= l’autre langue, l’autre

bibliothèque) lui devient momentanément problématique et

comme étrangère.

La vue d’une bibliothèque nous met en question, nous dé-place

comme se trouvent être déplacées toutes les briques de mémoire

potentiellement en action que sont les livres (lesquels n’attendent

que l’oeil du lecteur pour être activés et modifier le regard qui, dans

le même temps, les agit) lorsque l’ajout ou le retrait d’autres briques

modifient l’équilibre général. De même, la conception d’une

bibliothèque, surtout lorsqu’elle s’avère être aussi originale que celle

du CIPM, déplace à sa façon les autres bibliothèques (les resitue

momentanément), déplace les livres, déplace la langue.

Déplacement dont les conséquences très concrètes sont loin d’être

prévisibles car le monde des bibliothèques comme celui de la

poésie s’inscrivent tous deux dans un déjà existant éminemment

pluriel et instable du fait de cette pluralité. À l’opposé du cliché

habituel l’espace documentaire comme l’espace poétique ne sont

pas des lieux clos, préservés, statiques. Ce sont au contraire des

lieux qui, plus que tout autres, doivent réagencer des flux pour

favoriser des rencontres improbables.

Concernant les bibliothèques, cela se traduit par la diversité d’un

public (= regard infiniment pluriel et perpétuellement renouvelé)

aux composantes fluctuantes et aux attentes variables à l’égard de

savoirs toujours plus diversifiés et pléthoriques, divulgués sur toutes

sortes de supports : livres, CD, DVD, Internet, etc. Concernant la

poésie, la multiplicité des régimes de langue réclame, comme nous

le verrons par la suite, une forte capacité critique, c’est-à-dire la

faculté d’utiliser et de combiner des techniques d’écriture, qu’elles

soient verbales, sonores, visuelles pour fluidifier la langue, la

dynamiser, et la rendre apte à déjouer, détourner, réutiliser les

codifications sclérosantes produites par une société en mal de

profits immédiats. Travail de mise au point donc, pour laisser

advenir autant que possible les hasards les plus favorables.

III

Nietzsche, dans une lettre délirante adressée à Burckhardt et citée

par Didi-Huberman, envisage ce dispositif structurant comme un

« édifice ». Voici ce qu’il écrit : « Ce qui est désagréable et

embarrassant pour ma modestie, c’est qu’au fond je suis chaque

nom de l’histoire. » Et il conclut sa lettre en ces termes : « Cher

Monsieur le Professeur, vous devriez voir cet édifice […], c’est à

vous que revient toute la critique […]. Nous autres, artistes, nous

sommes inenseignables. »

Plusieurs observations sont à faire. Tout d’abord, comme le dit Didi-

Huberman, « il importe de comprendre l’enjeu

structural, d’un récit de

généalogique

critique de l’histoire et de sa patiente élaboration du temps à travers

des concepts tels que la généalogie ou l’éternel retour ».

Accepter la part délirante de tout travail critique, c’est considérer

son processus dans sa globalité. C’est reconnaître la dimension

heureusement opératoire de hasards souvent contradictoires

générés par ce processus critique, lequel est lui-même généré par

les hasards qu’il a tentés de rendre positivement actifs. Par

positivement actifs on entend ces hasards qui, momentanément, ont

la capacité de nous éviter les sensations que Nietzsche qualifie de

désagréables et d’embarrassantes pour notre modestie.

Les hasards heureux sont donc les hasards modestes, c’est-à-dire

ceux tout à fait pragmatiques qui évitent les boursouflures, les

blocages, les engorgements générateurs de « Grandes Têtes envisage comme un « édifice »corps-bibliothèque donc, toujours encorps-bibliothèque est ce problématique corps nominal constituéLivre – ne l’empêchein Poésies II). Parce qu’ils sont

Molles ». Ceux qui nous sont individuellement et collectivement

bénéfiques et qui, loin de nous détacher des réalités, ou d’être

détachés eux-mêmes des réalités, sont la réalité perpétuellement en

crise parce que toujours en cours de réagencement. C’est la raison

pour laquelle lorsque Nietzsche s’

peuplé par les grands noms de l’histoire, il ne peut considérer cet

édifice que de façon problématique car toujours en mouvement.

Cet édifice en perpétuelle métamorphose est le corps même de

l’artiste. Corps-mémoire,

construction, et dont la perpétuelle mise en procès par l’interaction

des savoirs évite toute forme d’obstruction ou les faux décollages.

Corps amoralement, c’est-à-dire mécaniquement et hasardeusement

expurgé de lui-même, humilié, dédit. Humilié et dédit car, écrit

Mallarmé, « dans un acte où le hazard est en jeu, c’est toujours le

hazard qui accomplit sa propre Idée en s’affirmant ou se niant.

Devant son existence la négation ou l’affirmation viennent échouer.

Il contient l’Absurde – l’implique, mais à l’état latent et l’empêche

d’exister : ce qui permet à l’Infini d’être. »

Le

et constitutif de la très vive interaction de savoirs les plus

hétérogènes, dont le mouvement ininterrompu s’alimente et

alimente (d’)une infinité d’actes le plus souvent imprévisibles. Ce

mouvement ininterrompu contient l’Absurde, l’implique nous dit

Mallarmé mais, selon moi – et dans ce que je crois percevoir de

l’heureux phénomène d’inachèvement du

nullement d’exister, seulement le relativise (évitant de la sorte,

comme nous l’avons déjà dit, toute fausse envolée vers un mythique

au-delà du réel) et relativise de ce fait l’ « Infini d’être ». C’est ce

qu’a mis en évidence Marcel Duchamp qui transforme ce que

Mallarmé appelle d’autres fois la Pensée ou l’Idée en simple

« Ministère des coïncidences ».

À la suite de Marcel Duchamp, Robert Filliou met en place le

principe d’équivalence (« bien fait, mal fait, pas fait »), lequel trouve

son prolongement naturel dans la création de la « République

géniale » par le biais de trois concepts importants « création

permanente, réseau éternel et fête permanente » qui réactivent et

développent la célèbre formule de Lautréamont : « La poésie doit

être faite par tous. Non par un. » (

l’« édifice » en acte de la mémoire universelle - et nous invitent à

l’être dans nos pratiques quotidiennes, qu’elles soient

professionnelles ou autres - Mallarmé, Duchamp, Filliou, Nietzsche

en sont dans le même temps, par leurs perspicaces manifestations

critiques, les véritables bibliothécaires.

Jacques Sivan

critique, voirecrise […]. De même que l’incorporation, chez Nietzsche en délire, n’est pas dissociable de sa
sa langue il
Le Livre, repère et met en place desLivre tel qu’il le conçoit : feuilles détachées
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Commentaires
C
Bonjour Amel,<br /> <br /> la bibli et la poèsie sont de l'ordre du vent et ne sont pas matérielles . <br /> Elles ne sont pas prenables et la citation de Nietzsche "Nous autres, artistes, nous sommes inenseignables. » qu'on pourrait évidemment agrandir -> nous les êtres humains ...(vous savez que le danger nous guette )<br /> <br /> -> c'est comme l'âme/le coeur et la liesse .<br /> Nos frères/soeurs ont écrit un mot des mots qui ont colorés nos vies/nos coeurs/nos pas - ils sont aussi mucisiens - je me revois sur les crêtes sautant/volant limite parmi les vaches avec les Stones à l'oreille -sans avoir pris aucune substance, car on n'en a pas besoin - mon coeur réjouï .<br /> Dans tous ces petits verbes il y a l'approche du Verbe . Et il n'y a qu'une guidance c'est le Coeur . Le reste, de trop ,vient du diable.<br /> (et je me méfie des salons .)<br /> <br /> ELLE EST RETROUVEE !<br /> - QUOI? - L'ETERNITE<br /> C'EST LA MER MELEE<br /> AU SOLEIL . <br /> <br /> Merci arthur petit roi de nos adolescences bouillonnantes.
A
In vitro veritas, non?<br /> Amitiés
A
A tout bientôt, je pense à des titres musicaux...<br /> Bonne fin de semaine avec les vôtres,<br /> Amitiés,<br /> Amel
T
Bonsoir Amel, c'est gentil pour le lien! L'âme africaine me convient tout à fait!<br /> Excellent week-end, à bientôt.
S
Poésie expérimentale in vitro ad nihilo
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