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Battants sur le toit
4 janvier 2007

Lignes de fuite hongroises

Exposition photo : Lignes de fuite hongroises

se tient au musée Ernst de Budapestn jusqu'au 17 janvier 2007; puis s'en ira à l'hôtel de ville de Pécs dans le sud de la Hongrie jusqu'à la fin mars.

www.ernstmuzeum.hu

Robert Capa, Gyula Halász dit «Brassaï», Martin Munkácsi et László Moholy-Nagy n'avaient jamais exposé ensemble : le musée Ernst de Budapest a rassemblé 250 clichés datant du début du siècle jusqu'aux années 70. Ces artistes hongrois ont effectivement pris la fuite tous les cinq, quittant leur pays économiquement à genoux au sortir de la Première Guerre mondiale : destination Paris et Berlin. Premières lignes de fuite. Dès l'avènement d'Hitler au pouvoir, ils quittent le vieux continent pour New York, à l'exception de Brassaï. Deuxième ligne de fuite. A leur arrivée aux Etats-Unis, ils sont suspectés par les autorités qui voient en eux des ressortissants originaires d'un pays allié au régime nazi : on leur interdit l'exercice de leur art dans des lieux publics. On peut imaginer la frustration de ces photographes, surtout pour Robert Capa dont les photos sur le débarquement des marines américains sur les plages normandes en 44 avaient déjà fait le tour du monde (DD Day est connue de tous)

capa_2_1_, le monde avait été frappé d'apprendre que ce photographe ce jour-là se tenait en première ligne, objectif en joue, enveloppé dans un élégant imperméable griffé Burberry's comme pour narguer la mort. Capa avait dores et déjà fait "ses premières armes" pendant la Guerre d'Espagne aux côtés des Républicains, s'éprouvant premier reporter de guerre. Ces phrases souvent laconiques qu'il lançait sous forme de boutade sont devenues célèbres : "Si une photo n'est pas bonne, c'est qu'elle n'est pas prise d'assez près " disait-il.

Ci-dessous l'image d'un résistant, arrêté net dans sa lancée, prêt à tomber, la main perd prise, le fusil flotte encore un peu, la vie dévale, dans quelques instants il sera devenu le dormeur du val, Capa n'est qu'à quelques mètres, la balle aurait pu l'atteindre. C'est une fin d’après-midi quelque part en Espagne, la fin de toute après-midi : la chute de la République est imminente comme celle de ce jeune soldat qui sera tombé comme le symbole d'une lutte âpre, sauvage, Capa l'aura photographié juste avant que son corps ne s'écrasât dans une lumière d'arrière-saison, seul, comme un arbre foudroyé, qui bientôt va tomber, derniers instants de vie sur cette image qui est allégorique. Copyright : Magnum. capa_espagne__1_Capa meurt sur le champ de bataille en Indochine à l'âge de 40 ans. Ses photos d'un Budapest désolé, ravagé et ruiné par les combats entre Allemands et Soviétiques ne sont pas moins exceptionnelles. Brassaï, le seul qui restera en France, renonce à la peinture pour la photo, son ami Kertész qui avait déjà concentré son art sur les paysages et les scènes de vie simples, capturées depuis les fenêtres de son appartement parisien, prend en charge sa reconversion. Brassaï est un oiseau de nuit qui aime les mises en scène soignées, ces photos sont longuement mûries pour atteindre à ce sentiment de "pris sur le vif" comme ces photos de couples enlassés dans le cadre feutré des brasseries de Montparnasse ou d'ailleurs. Adolescent, il avait étudié la peinture et la sculpture aux Beaux Arts de Budapest avant de servir dans l'armée austro-hongroise jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. A 25 ans, il tourne le dos à un sombre passé et s'installe à Paris (avec toute la force d'ancrage que ce mot évoque en lui) dans un petit hôtel à l'angle de la rue de la Glacière et du boulevard Auguste Blanqui, à Montparnasse. Il mène une vie de bohème, partagé entre le journalisme et son désir de matérialiser son rêve de photographe, ses amitiés avec Henry Miller, Léon Fargue, Jacques Prévert et André Breton le conduisent vers cette "forme" de surréalisme dont il dira : " Le surréalisme de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel... Mon ambition fut toujours de faire voir un aspect de la vie quotidienne comme si nous la découvrions pour la première fois ". Dès 1930, il se met en chasse de ses prises de vues de nuit, utilisant un trépied en fumant des boyards pour calculer le temps de pose, et développe ses films dans son petit hôtel où il a élaboré un laboratoire de fortune des plus rudimentaires...  Paris de Nuit rassemble ses clichés dans une publication aux éditions arts et Métiers graphiques, en 1933 : des lumières de brouillard et de pluie font de son Paris nocturne un chef d'oeuvre. Ses rencontres s'élargissent aux frères Prévert, à Fernand Léger, Le Corbusier, et à Picasso. Il se voit confier par Tériade (critique d'art) une mission inespérée : photographier les sculptures de Picasso dans son atelier de la rue de la Boétie et dans son château manoir de Normandie. brassai_4_1_brassai_7_1_De cette rencontre avec Picasso naîtra une grande amitié. Amis et photographe des artistes, il immortalise Maillol, Laurens, Salvador Dalí, Henri Matisse, Alberto Giacometti, Hans Reichel, Germaine Richier, Jean Genet, Henri Michaux, Henri Paul Fargue et Henry Miller. Il est devenu, selon la formule de Miller :  " L'oeil de Paris ", "un œil vivant ... ses yeux ont cette véracité qui étreint tout et qui fait du faucon et du requin la sentinelle frémissante de la réalité". Brassaï écrira deux ouvrages sur cet écrivain. Ce jeune émigré devient bientôt l'un des photographes les plus reconnus de son époque. En 1945, il fabrique les premiers décors de ballets, en 1961, son Graffiti  avec ses murs griffés, scarifiés, grattés, griffurés... fait office de référence, élevant cette pratique au rang d'un art dit symbolique. A sa mort, en 1984, sa renommée est immense, de son enseignement on pourra retenir cette phrase de lui : " Il y a deux dons qui font l'homme d'image, le créateur : une certaine sensibilité pour la vie, pour la chose vivante et d'autre part, un art de saisir celle-ci d'une certaine façon. Il ne s'agit pas d'esthétisme pur…une photo confuse ne peut pas pénétrer dans la mémoire. J'ai toujours tenu la structure formelle d'une photo, sa composition, pour aussi importante que le sujet lui-même…Il faut éliminer tout ce qui est superflu, il faut diriger l'œil en dictateur. Et il faut prendre celui du spectateur et le conduire à ce qu'il est intéressant de voir. "

Moholy-Nagy et Martin Munkácsi auront eux aussi participé à la refonte du langage visuel, ce dernier rapportera du Liberia en 1930 une photo qui fut reçue par Henri Cartier-Bresson comme une onde de choc : Enfants jouant sur les rives du lac Tanganyika, pris de dos entre sable et embruns. New-York le consacre.

Un journaliste dira de cette exposition : "... en suivant ces parcours parallèles, exposés selon un fil chronologique, l'on se prend à les confondre. Ce soldat au bord de la rivière ne porte-t-il pas la griffe de Capa ? Raté, c'est un cliché de Kertész, pris sur le front polonais en 1917. Et ce paysage, qu'on aurait volontiers attribué à Moholy-Nagy, est en fait de... Brassaï."

La boutade de Robert Capa aurait-elle du sens : «Il ne suffit pas d'être doué, il faut aussi... être hongrois.» ?

A suivre...

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Commentaires
L
vu cette exposition a Sfabtu Gheorghe en roumanie ou j habite.<br /> superbe des originaux et des retirages<br /> toutes ces images dans leur jus.<br /> <br /> aussi la rencontre d une famille qui detient la correspondance privee deBrassai vers la roumanie.<br /> je peux mettre en contact avec de futurs acheteurs<br /> incroyable plus de 120 lettres etcetc
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