Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Battants sur le toit
10 janvier 2007

G. Genette, Bardadrac

G. Genette, Bardadrac

Parution

Information publiée le samedi 6 mai 2006 par Arnauld Welfringer

_blank

Gérard Genette, Bardadrac
Seuil, coll. "Fiction & cie"
21,90 €

Le mot de l'éditeur:
Un Gérard Genette inattendu, plein d'humour, qui regarde son passé et son époque avec tendresse et lucidité. "Bardadrac", c'est le mot-chimère jadis inventé par une de ses amies pour désigner le fouillis de son grand sac à main. Autant dire qu'on trouve de tout dans ce livre : réflexions sur la société contemporaine, ses discours, ses stéréotypes ; souvenirs d'enfance, et d'une jeunesse marquée par quelques engagements politiques ; évocations de grandes figures intellectuelles, comme Roland Barthes ou Jorge Luis Borges ; goût des villes, des rivières, des femmes et de la musique, classique ou jazzy ; rêveries géographiques ; considérations sur la littérature et sur le langage, avec un éclairage corrosif du dialecte des médias ; et autres surprises.
Dans cet abécédaire enjoué et souvent ironique, l'auteur des Figures se place à l'intersection du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, des Chroniques de Vialatte et du Je me souviens de Perec. Un livre revigorant, dont la composition en fragments invite à la promenade et à la cueillette.
————
Le mot librement choisi par Fabula, à la lettre G donc:

GESTATION. "Ce n'est pas, disait Mao Tsé-toung, parce que vous aurez neuf femmes que vous ferez un enfant en un mois."

Ce qu'en a pensé la presse :

  • La revue de presse Claude Duneton - Le Figaro du 7 septembre 2006

L'une des gloires de la sémiologie du siècle dernier, réputée pour la richesse de sa pensée et l'obscurité de son langage, vient de virer sa cuti - comme on dit irrévérencieusement - en publiant un livre plein de légèreté, de saveur et d'insolence. On ne serait pas plus étonné si Kant avait soudain produit un recueil de blagues belges ou un traité de contrepèterie. Bardadrac, mot inventé pour désigner le fouillis d'un sac à main, est conçu par M. Gérard Genette comme un pseudo-dictionnaire où les réflexions, pensées, jeux de mots, souvenirs, confidences, courtes analyses se mêlent, se chevauchent, présentés tout à trac sous l'ordre alphabétique. Tout le livre est malin, et si joliment écrit ! Il est imprégné d'ironie douce, de désillusion non carrément dite, de tristesse voilée comme il sied à un honnête homme qui a beaucoup voyagé, beaucoup appris, énormément réfléchi, et déborde de culture américaine. Le soulignage emphatique de l'anglais est familier à l'auteur : «Bien des gens ne savent pas vraiment ce qu'ils aiment : sans en avoir conscience, ils demandent toujours à autrui (par exemple au diktat du modèle médiatique) de leur dire ce qu'ils doivent aimer.» Très juste !

  • La revue de presse Erwan Desplanques - Télérama du 8 Juillet 2006

Bardadrac ressemble plutôt à un sinueux bric-à-brac autobiographique, un objet tordu, joyeusement foutraque. Avec des entrées qui ne débouchent pas sur les bonnes portes (son destin d'intellectuel évoqué à partir du mot «cravate») et des révélations qui vous piquent là où vous les attendiez le moins (la mort de Barthes, sous le mot «scrupules»).

  • La revue de presse Didier Eribon - Le Nouvel Observateur du 15 juin 2006

Avouons-le : on n'attendait guère Gérard Genette dans le registre du souvenir personnel, tant son nom est lié à ce qu'on appela, dans les années 1960 et 1970, la «nouvelle critique» littéraire, «structuraliste» et «formaliste». Le voir adopter un ton de journal plus ou moins intime ne manquera pas de décontenancer ses lecteurs, et notamment ceux des premiers volumes de «Figures» (Seuil), où sont réunis ses textes théoriques et ses analyses sur Proust, Flaubert, Stendhal... Mais après tout, il explorait déjà, dans des ouvrages ultérieurs comme «Palimpsestes» (1982) et «Seuils» (1987), ce que l'on peut considérer comme les dessous et les entours de l'écriture (c'était alors celle des autres).
On pourra d'ailleurs regretter que, nous offrant aujourd'hui, sous forme d'abécédaire, ces fragments de mémoire, il y accorde si peu de place à ses propres livres. Il s'agit plutôt d'une série de récits et de réflexions sur son enfance, son adolescence, sa carrière, ses voyages, ses rencontres (avec Borges...), à partir desquels il brosse à petites touches l'esquisse d'un autoportrait... Certes, tout n'est pas passionnant dans ce gros livre : certaines anecdotes manquent de relief et bien des aphorismes ne sont que des bons mots de dîner. Mais, finalement, cela contribue aussi au charme de ce «dictionnaire» égotiste, défini au départ comme un «puzzle à ne pas recomposer».

  • La revue de presse Philippe Lançon - Libération du 15 juin 2006

Les détails ne meurent jamais. Ils ont l'avantage d'être précis. Il arrive même qu'ils rendent modeste. C'est donc par eux que Gérard Genette, dans son abécédaire intime et traversier, Bardadrac, commence, continue et finit : un lieu, un paysage, un objet, un mot, une phrase, une citation lancent un souvenir qui en appelle un autre, qui se referme sur un autre, et l'écrivain vole lentement, de liane en liane, sur ces «épiphanies contingentes». «Mon imagination, dit-il, ne porte que sur les détails. J'aime assez la diagonale, la parallaxe, et un peu les zigzags. Et je n'aime pas conceptualiser un livre qui, pour une fois, me sort de la conceptualité.»

Il aime aussi les descriptions, leur cheminement et leur texture : Bardadrac rappelle qu'elles ne sont ennuyeuses que pour un oeil sans regard dans une phrase sans matière. Proust, dont Genette analysa l'essence métaphorique dans Figures 1 (1966), fut découvert à 25 ans, dans les années cinquante, par un recueil de morceaux choisis. Ces morceaux choisis n'étaient que descriptions ; il les aima aussitôt. Plus tard, il a écrit qu'il préférait, contrairement à d'autres, sauter les passages narratifs qui s'intercalaient entre elles. C'est un paradoxe qu'il est inutile de croire jusqu'au bout : Genette aime Balzac et il a lu, enfant, Dumas, Jack London et les autres ; mais la «mécanique narrative» le fatigue vite, car il en voit «le mécano»...

Gérard Genette «récolte» les épis de ce livre depuis plus de vingt ans. Il en a 76 et ne les fait pas : son physique est aiguisé, et comme musclé, par l'exercice d'une intelligence patiente et armée, comme si les textes qu'il a étudiés lui travaillaient le corps. Ses yeux sont presque chinois, mais, quand il vous regarde, c'est un félin. Les griffes sont légèrement rentrées dans un pelage de courtoisie. La bêtise n'est pas son fort. De l'ensemble, se dégage comme un parfum de résistance, de plaisir et d'abstention...

On trouvera beaucoup d'histoires drôles, d'humour noir et de bons mots, dans Bardadrac : si vous n'y croyez pas, allez-y voir. Les meilleures farces sont peut-être celles qui sont de plus mauvais goût. «Mais j'ai peut-être tort d'hésiter entre mauvais goût et bonne santé, écrivait-il en 2002 dans Figures V : c'est souvent la même chose.»

Bardadrac a le style et le ton qui furent toujours ceux de l'auteur : un mélange de dérision et de fermeté circulant dans une phrase toute en incises et sinuosité, avec épingles, revers et ourlets, une phrase qui cuisine, mais cette fois à usage personnel, les figures de style que tant d'autres livres ont si bien étudiées...

Le titre a évidemment son entrée. «Bardadrac» est le mot d'argot intime par lequel une femme qu'il admira dans sa jeunesse, Jacqueline, «désignait un sac aussi vaste qu'informe, qu'elle traînait partout, au-dedans comme au-dehors, et qui contenait trop de choses pour qu'elle pût jamais en trouver une seule. Mais la certitude trompeuse qu'elle y était la rassurait, et le mot s'appliquait par métonymie à son improbable contenu, par métaphore, à toute espèce de désordre, et par extension à l'univers entier, environs compris». On peut ainsi lire Bardadrac comme on veut, en étant sûr qu'on y trouvera ce qu'on ne cherche pas. Cependant, Genette pense qu'il faut lire son livre dans l'ordre, alphabétique...

  • La revue de presse Michel Contat - Le Monde du 2 juin 2006

... Sous sa férule théorique, au moins deux générations de lycéens, étudiants, khâgneux et normaliens auront appris à traiter la littérature en objet scientifique, à décrire un texte avec des mots au sens précis plutôt qu'à l'interpréter avec des sentiments et des notions brumeuses. Ils auront ainsi souffert le martyre des idées claires mais arides. Quand le Genette de Bardadrac raconte que, peinant à lire un "manuel d'utilisation" traduit littéralement du coréen, il appelle un technicien et s'entend répondre au téléphone, après avoir décliné ses nom et prénom : "Cher monsieur, quand on a écrit Figures III, on doit pouvoir décoder le mode d'emploi d'un lecteur de DVD", on rit avec lui de cette sortie vengeresse. La narratologie, en effet, est devenue méthode officielle de l'enseignement littéraire en suivant son exemple. Dans Figures III, justement, il démembrait Proust pour la servir. Il propose donc, dans le petit dictionnaire de "médialecte" et d'idées reçues qui occupe cent vingt pages de Bardadrac, l'entrée suivante : "Narratologie. Pseudo-science pernicieuse, son jargon a dégoûté de la littérature tout une génération d'analphabètes. Ne dissèque que des "cadavres de récit" (encore heureux)."

On attendait de lui peut-être une fiction, certainement pas une autofiction (il a le genre et ses déboutonnages en horreur), mais quelque diction sur sa trajectoire, comme un intellectuel septuagénaire est maintenant tenu d'en produire, s'il ne s'est pas exécuté plus tôt. Le voilà qui donne une autobiographie. Bien évidemment, le théoricien dont les lecteurs connaissent l'humour pince-sans-rire et le goût pour Borges ne peut procéder comme tout le monde et se raconter dans l'ordre chronologique pour dresser de lui-même un portrait en pied. Il le livre donc en vrac...

Agitant fièrement les couleurs de Montaigne, de Proust, de Borges (admirable portrait) et de Perec, Gérard Genette nous donne donc ses Essais en forme de Dictionnaire personnel d'une vie française (toute une vie, qui les vaut toutes, et que vaut n'importe laquelle), comme il n'y a pas si longtemps François George livra son Histoire personnelle de la France et Perec ses Je me souviens qui valaient pour une génération entière. Quant à lui, il souhaite "modestement, comme Stendhal, être lu en 1930"... un grand livre de littérature française ouverte sur le monde.

Bardadrac :  apéritif en vrac pour esprit gourmand

Publicité
Commentaires
Publicité