Silences en Résurgences
«Je peindrai de plus en plus et j’écrirai de moins en moins» cette phrase de Michaux en forme de déclaration (1959) en annonce une autre en archipel : «Ou alors je n’écrirai plus que sous la forme de poèmes de plus en plus difficiles à traverser : je reviendrai, si vous voulez, à mes deux cents lecteurs.» Les années qui ont suivi se sont tressées autour des signes graphiques, Par la voie des rythmes (1974), Saisir (1979), Par des traits (1984).
Émergences, résurgences (1972) unique en son genre, combine dans une unité sidérée la vie dans les plis et ses signes picturaux, comme si le tracé des lignes "répétaient" le «phrasé même de la vie» : «Que de ce papier aussi vienne une plaie!» Son écriture poétique devient hypnotique, travaillée par l’expérience du vide, de l’extase, de la pullulation : le recueil Moments fut écrit en 1973, des convois de mots y structurent l'espace de la page, leur distribution espacée ou espacements distribués métaphorisent sa manière d'habiter le temps, la page se fait pour lui lieu d'accueil : qui «m’embrasse et par brassage / à moi me soustrait, m’ouvre et m’assimile» (Moments). La colère semble être tombée et avec elle les dissonnances qui caractérisaient cette "voix contre" qui chariait si fort les phrases de ses précédents écrits, comme si son combat avait cessé, ses incartades, ses dérives, ses fureurs. Sans doute le "professeur d'inquiétude" convoitait-il déjà une paix dans et par les brisements mêmes si l'on en croit cet "aphorisme" extrait de Poteaux d’angle : «Le sage transforme sa colère de telle manière que personne ne la reconnaît. Mais lui, étant sage la reconnaît... parfois.» Le combat n'a pas disparu, il s'est intériorisé mais ne renonce pas à soi : «un dessin sans combat ennuie», une question ontologique demeure nous est-il permis d'«Échapper, échapper à la similitude, échapper à la parenté, échapper à ses semblables.» ? (Saisir),