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Battants sur le toit
23 juillet 2006

Hommage à Jean Todrani : le polygraphe

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"Mourir, pour quoi faire ?

Exit Jean Todrani

1.
L’artifice est nature. Plus profondément on descend, plus on ramasse d’artifice. Parler entraîne aux sibéries.
L’or et les paillettes de la raison sont là. C’est le cri des oiseaux replié page sur page, loin de l’abîme, puisque nous passons au large, c’est l’hiver qui perce. Mourir, pour quoi faire ?
La faune, les frondaisons, toutes ces monstruosités affublées d’un contour, d’un corps et de sueur enfin le passage rapide des troupeaux, pour un livre écrasé par le temps au nom d’un dieu analphabète, dernier récif avant la haute mer.

2.
« JE » pronom impersonnel. Par la cruauté du verbe, je ne suis personne, je suis je, le cœur trop libre battant pour chaque objet, chaque mot de cet objet, comme pour écrire on remonte des ténèbres (un fleuve peut-il faire de l’ombre?) Ce que j’écris maintenant vient pour soigner mes textes antérieurs. Qui veut agrandir son vocabulaire agrandit aussi les choses, les espaces, les histoires. Une mise à feu de la douleur. Au bout il y aura toujours cette interminable voyelle..
C’est l’écartelé après l’orage, humides jardins, saisons goutte à goutte. J’écris, je me sépare.

3.
Sexe au goût de violette, bouche fermée sur la forêt pubienne, il y a encore un corps neuf sous la robe, ce qu’on appelle portique, élan joyeux, front de jeunesse, mais corps d’artifice, parfois la mélodie des gestes et puis langue pour chanter l’amour bouffon.
Pas de forme, pas de lumière, seules les petites salles de la folie. Pourquoi écrire encore des livres si longs ? Dans une ville en pleine campagne ? (dans leur blouse, ils regardaient, bas du cul comme leurs vignes, et des myriades d’insectes ?) je ne fabrique pas un livre mais seulement des dimensions, la ressemblance, un petit futur à chacun.

4.
On calcule : leur couronne peut encore servir de porte plats : c’est le niveau des proses. Et aussi le bitume qui colle tout à toute. On va se partager la fausse monnaie de la rime (heureux temps du velours). Mais c’est l’haleine dévorant l’haleine (on aime parler du désordre des amants).
Vent gris sur de cruels paradis ; on n’écoute plus que leurs mesures.

5.
Jusqu’où va la passion ? C’est le lexique des miracles, le grand sur le petit. On ne retrouve jamais rien, comme pour ces vols gris et courbes de la prose. On dit « folie » mais la folie précède toujours la mort, elle la maquille, l’introduit, l’épouse, mais le temps reste, lui, dans la belle langue.
Papier de tête, j’écris en haut de la page, une littérature d’œufs durs.

6.
Sur sa cuisse on collait habituellement des posters manuscrits. Le glorieux support se mettait à bouger, tombaient alors des maximes au parfum corporel. L’insensé va tout dire.
Avouer sa misère, ses complots, ses échecs, comme les vallées, les villages, cela devrait suffire, le danger étant seulement dans la langue. On patrouille, on joue avec les oiseaux.
Je raconte alors des navires en perdition, la cohorte des épaves drossées sur les rochers. Est-ce bien ce qu’il fallait dire ?
Ite missa est il y a encore matines et vêpres. On invente du sens, la tête descend, on pense mieux couché, le sujet ne s’épuise pas, c’est la méthode qui s’épuise, comme qui dirait : mourir sans corps.

7.
L’alcool du matin, le corps illimité et solitaire, la pensée, sinon les jeux de hasard, font la métaphore autour des choses. La profondeur, ce sera une cave, les mille pattes des choses. Avec au loin le sel dans le sable, un lac avec ou sans eau, la table des écritures. Là ils meurent à tout propos, et tout le temps, on n’en a jamais fini. Reste l’écrit devant cette furieuse tempête, ils sont les uns sur les autres, prélude à la mortalité, vertige d’un futur animal, mais les phrases annoncées ne sont pas du même âge, ni de la même espèce, tout n’est jamais que parallèle.

8.
Ce livre pourrait n’être qu’une correspondance, un carnet intime, un SOS, un appel. Ce serait le dernier texte, bien que menacé de rupture spontanée. Une percée dans les surfaces puisqu’il n’y a pas vraiment d’occident ou d’orient, que des surfaces commodes ou relief des rues.
Enfin les yeux vont retoucher cet art de voir. Je pense aux idées qui s’en vont même inachevées, informes, libres, certains mots sont trop forts.

9.
Ce serait un carnet de voyage géographique donc de rivières traversées, de sombres forêts, de monts blanchis, et, sortis de là des mots tout aussi obscurs. Des intentions à l’acte. L’envie dans le regard, pourquoi soupirer après l’ailleurs et ensuite après l’ici ?
Et puis au crépuscule, la banalité élégante de la mer.
On y arrive en parlant à demi.

10.
À la fin des lectures, nous abandonnons des objets, à demi consommés, des idées en panne ; l’écriture buissonnière des accidents ? Ça ne fait pas portrait ? Pauvre théâtre de la nécessité d’en sortir. On s’enfonce dans le texte, on parle. Bricoler l’infamie pour le plaisir de souper dedans.

11.
Ici les adolescents ne restent jamais assez longtemps, on ne peut leur raconter, on commence par la douleur, pour aller vite, le reste n’est plus écouté. Des écrits dont la première lecture ne comble rien. Les gestes attendus de la lecture sont encore là, le visage du lecteur est transformé ainsi que les paroles de ce visage. Avons-nous partagé des sentiments cruels (ce que dit la langue quand on ne la fréquente plus). Une fois descendus au fond des littératures.

12.
On va enfin transcrire cette prose. Elle est arrivée avant le travesti des mots, pureté, confort des oreilles. La haute voix des procès. Les pots, les plats, l’huile et le sel sont en place, le contrat pervers du besoin de comprendre, les scribes sont restés au fond de la mare. C’est la fin du dedans, l’écriture s’en va, elle a trouvé sa forme dernière, c’est foutu. Après le départ des choses, nulle réplique, seule la monstruosité des organes pour une harmonie d’usine, c’est que nous sommes l’organe d’un autre dans la courbe gracieuse des années. Ce que je dis là est enfantin comme s’il y avait une tendresse sous les choses, c’est la langue d’août : une élégie.

13.
Le froid du corps s’est introduit dans notre esprit, l’immensité a embarqué trop de futur, chaque mot pourtant a besoin de littérature. Jusqu’au mur taciturne. La forme et le souci de la forme ne servent qu’à saisir les objets et les idées. J’aime l’aube de la phrase repliée sur elle-même sans se soucier du temps qu’il va faire. On cherche à atteindre le sans-souci, parfois la forme se met à la place du texte pour briller. Mensonge.
On a commencé à écrire cette page tout habillé, puis mangeant et buvant, ce bruit jusqu’à la dernière page comme à toutes nos réunions, ils apportent leur maison, parfois sans l’ouvrir.

14.
On souffre à chercher ses organes. Trop d’objets suivent chaque mot. On invente alors du sens pour se tenir, et on tire de là de paternelles leçons. Comme si, munis de sacrements, on imaginait une écriture sacrée n’appartenant qu’aux offices. Le droit d’entrer dans une identité, mêlé au marécage des paroles, on atteint ainsi la mollesse de la pensée. Il y a suffisamment d’intérêt entre les mots pour que la méditation soit légère.

15.
Des larmes d’envie pour ceux qui ont fabriqué ce passé et ont terminé, la tête, les nerfs, le savoir, la langue. Tout ce qu’ils ont touché qui va s’enfermer dans de belles images (les animaux ne connaissent pas cet ennui).
Quand deux phrases qui se suivent vont dans la même direction, elles s’annulent sur place.

16.
Pendant que j’étais au sud, ma langue se démenait et préparait des coups. Sa cruauté se tournait contre moi. Certains ne voyaient que prairies, calme pastoral. Les corps étaient devenus obscurs. Les cités ressemblaient à ces corps attendris ; la légende prépare toujours la connaissance, tout le bois mort des sentiments va à l’invention, la pensée n’appartient à personne, elle n’a que l’imitation.
Plus j’écris plus je me blesse.

17.
Ma tête va repasser par son trou de terre. On y prépare toutes les ruptures par les grands ateliers vides où s’endort la lumière. S’endort aussi la querelle. Le bras levé autrefois, retombe en plein midi. Les bandes juvéniles sont allées vieillir ailleurs. Ici un soleil accompli joue avec le bleu, et le sourire imbécile des anges.

18.
Plus de métier, plus d’usage, il reste là, au loin. N’a de dialogue qu’avec soi (l’autre, la rue multiple a capté son visage, la douleur en doublure.) L’environ n’est que déchet de rêverie. La maladie de l’absolu nous irrite car ce qu’on veut abandonner persiste encore et parle.


Ce volume comporte un cahier spécial Jean Todrani,
dont voici la bibliographie :

Aux Éditions Comp’Act
Ou bien, 1989.
L’inachevé, 1995.
Sudor facil, 1997.
Les idées inconnues, 2000.
Exploits, 2003.

Chez d’autres éditeurs
Tête noire, G.L.M., 1952.
Orpailleurs qui cherchez, G.L.M., 1952.
Ici est ailleurs, G.L.M., 1954.
Le plus clair du temps, G.L.M., 1954.
Proses de Camargue, hors commerce, 1958.
Mandragore, Cahiers du Sud, 1960.
Le livre des visites, G.L.M., 1961.
14 poèmes en un acte, Action Poétique, 1962.
Je parle de l’obscur, la Fenête ardente, 1963.
Neuf poèmes d’amour, la Fenêtre ardente, 1966.
Cano, P.-J. Oswald, 1967.
Cessez de comprendre, Gramma, 1979.
Studio, Éditions Lobies, Gramma, 1982.
Gioconda, la Répétition, 1984.
D’où viens-tu, toi qui t’en vas? Ecbolade, 1985.
Comme, Ecbolade, 1987.
Jusqu’aux enfin, André Dimanche, 1990.
Le livre et le vallon, Éditions E.D., 1994.

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