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Battants sur le toit
24 juillet 2006

Esteban

"Le jour à peine écrit"

Claude Esteban n'était pas le seul à se rendre d'un rivage à l'autre, à être passeur de mots, à favoriser une voie d'accès à deux rives qui se regardaient, mais peu de poètes savaient faire la cour à l'autre langue pour l'approcher sans l'effaroucher, si respectueux, qu'il ne s'autorisait que rarement à des "translations" hasardeuses, jamais ne cédait à la seule urgence d'être lu, cette "courtoisie"-là n'a presque plus cours aujourd'hui et faisait de ce poète le meilleur confident de l'aimée, l'autre qui serait sans lui restée sans voix pour tant d'autres prétendants, amoureux transis de la poésie. Ce commerce entretenu avec l'espagnol et le français était celui d'un vent soufflant sur une frondaison de signes. pourtant si peu assuré de pouvoir offrir la meilleure hospitalité à l'hôtesse qu’il craignait par dessus tout d’offusquer. Il redoutait de ne pouvoir traduire selon la définition belle de Ricoeur quand « le plaisir d’habiter la langue de l’autre est compensé par le plaisir de recevoir chez soi, dans sa propre demeure d’accueil, la parole de l’étranger » devient création. Né pourtant au croisement de deux langues, paternelle et maternelle, il ne s'est jamais vécu que comme un intrus dans l'une comme dans l'autre, mais n'est-ce pas justement dans et grâce à cet inconfort "moral" qu'il n'a jamais brutalisé l'une ou l'autre : Il se sentait comme un "apatride", ne pouvant jamais se sédentariser nulle part en l'une ou en l'autre. Ces allers venues dans ce corridor ombrageux lui faisait dire : " confronter en soi deux horizons, traverser deux espaces mentaux qui ne se confondent que par l’adéquation illusoire des concepts – cette chimère, tenace en nous, d’une grammaire universelle" était une position intenable, donc de souffrance. L’écriture ne pouvait répondre qu'à une farouche exigence intérieure, celle de créer un parlement intérieur où deux voix pourraient enfin résister à l'étiolement...

Jamais il ne mettait en colère le poème qu'il n'avait pas écrit, mais qu'il nous offrait comme "un horizon rajeuni".

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