Le TGV de la mémoire

Les souvenirs remonteront plus vite, des passerelles, des viaducs, des ascenseurs ont été aménagés. On ne leur laisse plus le temps d'affleurer à leur rythme, on a forré un peu partout dans la matière meuble du cerveau pour les faire jaillir comme des geysers : la mémoire est devenue un TGV qui ne desservira plus les vieilles contrées qu'on laisse dépérir avec ses trésors de paysages... Il faut faire vite désormais: là où l'on mettait trois heures pour traverser ses arrières-souvenirs, il ne nous faut plus qu'une heure, sans croiser le moindre clocher, ni la moindre forêt de chênes, ni même de paysans charriant leurs terres pour les prochaines moissons. On mange de l'espace sans se soucier de tous ces détails qui font la fabuleuse richesse des souvenirs... Les souvenirs ne remonteront pas plus vite, ils vont leur rythme, et ne s'emballent pas pour monter dans le premier TGV flambant neuf, ils aiment les chemins de traverse, butiner à travers champs, se rouler dans leurs vieilles complaintes heureuses, ils n'aiment pas qu'on les bouscule, ils sont têtus, et la vitesse ne les a jamais ravis...