le taureau : aiguillon de la pensée
Le geste s'immobilise, le peintre joue du fleuret devant sa toile, il s'interrompt dans l'inachèvement de la figure qui n'aurait rien gagné. Dans l'arrêt quelque chose se poursuit hors la toile, l'énergie précisément qu'il a fallu pour retenir un geste naturel qu'il a hardiment contrarié par ce tour elliptique. Ce qui fut interrompu apporte un surcroît de vie. Ce qui se déporte de vagues en vagues, comme une sinusoïde, se sait libre de décider de l'instant pour toréer avec la toile, si l'on en croit Picasso qui prétend que la corne imaginaire du taureau doit se faire aiguillon de la pensée, telle une incitation à remettre au chantier le travail nécessairement inachevé du sens. Cette liberté tout aussi imaginaire doit nous porter à nous improviser torero, héros d’une lutte implacable contre le destin, héros du hasard. Ce serait comme faire le choix délibéré de l’heure de sa propre mort sans ne rien faire pour, comme si cette décision était la seule réelle, orage de la paix, outrage du baiser, serrure des horizons, élision de la plénitude du O, rondo et ronds d'eau du poignet qui épargne la toile d'une dernière estocade.