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Battants sur le toit
9 septembre 2006

Aline Gagnaire chez Dona Levy

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Pictogramme, Aline Gagnaire, D.R.

Collection Dona Levy

Aline Gagnaire est pour moi une révélation car j'ai été très sensible au texte de Dona Levy qui nous invite à voir certaines de ses oeuvres sur ses cimaises riches de tout un patrimoine de peintures. En quelques mots, Aline Gagnaire s'est liée dans l'entre-deux guerre au mouvement néo-Dada « Les Réverbères » (1938-1941), elle rejoint Michel Tapié, Francis Crémieux, Jean-Claude Diamant-Berger, Noël Arnaud, Gérard de Sède, Jacques Bureau… qui en sont les phares. Profondément affectée par la première guerre mondiale pendant laquelle son père fut grièvement blessé, sa vie intérieure en porte les sytgmates, quelque chose s'est sans doute disloqué en elle, et sa quète de respiration imprime à sa démarche artistique une espèce de nomadisme qui la conduit vers les surréalistes, lesquels ont fondé La Main à Plume de 1941 à1945. D’abord onirique, sa peinture s’oriente vers un nouveau langage pictural : le pictogramme, puis elle commence à intégrer sur sa toile des éléments hétéroclites, s'entame la série des « tableaux-clous », des « tableaux-chiffons » et des « tableaux-matières », ayant recours au plâtre, à la résine pour procéder à des incrustations, (technique qui fut utilisée ultrieurement par Arman pour dissoudre certains objets manufacttués suivant l'idéologie d'Adorno), et l’étoupe… Membre du Collège de Pataphysique, elle participe activement aux activités de l’Ouvroir de Peinture Potentielle, branche artistique de l’Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo) sous l'impulsion, comme on sait, de Raymond Queneau et François Le Lionnais, en 1960, et qui connaît encore des adeptes. Son cheminement artistique est marqué par la rencontre avec des mouvements et surtout des êtres qui semblent décrire une étoile perdue dans le ciel noir de deux guerres qui se sont presque chevauchées...

On connaît bien l'OuLiPo mais...

OulipinpoD.R.

"L’OuPeinPo est:

  • un OUVROIR

C’est-à-dire un endroit où l’on œuvre. Il diffère d’un laboratoire en ce sens qu’on n’y peine point ; d’une société savante, car l’avancement des sciences n’est pas son propos ; d’une secte, car on n’y professe aucune doctrine ; d’une école, car il ne comporte ni maîtres ni élèves. Il n’a rien de commun avec une académie, un musée, une loge, un commissariat, un institut ou n’importe quelle sorte d’institution. Si l’on peut lui trouver quelque parenté avec un atelier, c’est dans la mesure où l’on s’y attelle effectivement à de nombreuses tâches;

  • de PEINTURE

mais de façon toute synecdochique, car l’OuPeinPo ne restreint nullement la peinture à l’art d’appliquer des pigments. Au contraire, il l’étend sans scrupule à tous les arts graphiques ou plastiques et, autant que le pinceau ou la brosse du peintre, il préconise le crayon du dessinateur, la pointe du graveur, le ciseau du sculpteur, la taloche du stucateur, l’aérosol du tagger voire la souris du synthétiseur d’images. L’appareil du photographe et la presse de l’imprimeur ne lui sont pas inconnus. Et il s’efforce de promouvoir l’aiguille et le scalpel, le lardoir et le hachoir, le jet et le compresseur, la pelle à tarte et la pelle mécanique, le laser et le laminoir, le canon de campagne (si besoin la bombe), ou encore la main nue et l’agilité digitale. Étendre la gamme des matériels, ainsi que des matériaux, supports, techniques, procédés, sujets, points de vue, théories, etc., offerts au "peintre" est d’ailleurs l’un des objectifs de l’OuPeinPo;

  • POTENTIELLE

car l’OuPeinPo en tant que tel ne produit aucune peinture réelle. II n’œuvre pas aux œuvres mais aux méthodes, dispositifs, manipulations, structures, contraintes formelles à l’aide de quoi les peintres passés, présents et futurs ont pu, peuvent et pourront créer leurs œuvres. S’il ne nie pas ce qui est "en acte" dans les œuvres d’art, il affirme que c’est là l’affaire des artistes, des commanditaires ou du peuple regardeur. Son rôle à lui est de proposer des "formes" ou des transformations dans lesquelles les œuvres sont en puissance. Empressons nous d’ajouter que ses membres s’efforcent d’être les premiers utilisateurs des formes qu’il élabore afin que celles-ci ne restent point creuses mais soient manifestées par des exemples.

L’OuPeinPo se met donc dans la position des inventeurs anonymes qui léguèrent aux siècles la forme sonnet et la forme-sonate sans préjuger de ce qu’en pourraient tirer Shakespeare ou Raymond Queneau, Beethoven ou John Cage, outre les millions d’amateurs qui désobligent les Muses. Pour rester dans le domaine des arts plastiques, il se met dans la position du non moins anonyme inventeur du polyptyque à programme qui, sans le savoir, fournit un même dispositif â un Jan Van Eyck et à un Francis Bacon. À cela près que l’OuPeinPo a été fondé délibérément en vue de telles fournitures et qu’il ne se propose pas d’offrir une forme aux utilisateurs potentiels, mais des milliers (pour commencer), et plus complexes, plus contraignantes, plus fécondes que le polyptyque si pauvrement exploité jusqu’à présent.


C’est ainsi que des opérations (au sens mathématique, stratégique ou même chirurgical) menées sur tous les composants de l’œuvre d’art ont donné naissance à

(I) divers TRAITEMENTS PAR CODES ET MATRICES tels que la Musique en plages colorées, la Cassification et la Décassification, l’Antithétie (qui transforme l’Annonciation de Léonard de Vinci en une Dénonciation dans le style de Jérôme Bosch) et autres ISOMORPHISMES tels que la Transposition tactile, la Matérialisation des regards, le Message caché, la Transposition de cohérence ;

(II) des applications de la ROTATION et de sa fille la SYMÉTRIE, comme le Tableau rotatif regardable des quatre côtés, le Palindrome plastique, la Peinture à symétrie variable, les Anamorphoses ;

(III) des RÈGLES D’ASSEMBLAGE ET DE TRANSFORMATION faisant intervenir l’Intersection au sens mathématique (Vénus de Samothrace, Enterrement du comte d’Ornans), la Réunion, l’Inclusion (Giacometti- en-Maillol), la Superposition (Multichrists), la Chronologie (collage chronologique) ou la Lamellisection permutative ;

(IV) une grande variété de CONTRAINTES PAR BORDS où culminent la Peinture par la tranche, le Scytalisme, la Picturogenèse bitangentielle, le Polyptykon et le Manège à substitution, les Hyperdominos, le Morpholo, la Complémentation du cube. la Peinture taquinoïde ;

(V) des OEUVRES COMBINATOIRES dont plusieurs sont déjà mentionnées parmi les contraintes par bords mais qui peuvent s’étendre à bien d’autres domaines, aux surfaces, par exemple, avec la célèbre Vache au Pré noir de Louis Barnier, oupeinpienne par anticipation (combinatoire d’encrages et de formes imprimantes) ;

(VI) des œuvres à COULEUR MESURÉE, ou à valeur, à longueur de trait, à volume mesuré

(VIII) tout ça pour ne rien dire de la Peinture à l’aveugle, de la Peinture par téléphone, du Déculottage, de la Peinture sur gaz, de la Réponse au manuscrit d’Antin, des Trous architecturaux ou des Cent Fleurs de l’OuPeinPo, système tabulaire et logogenétique pour la création d’écoles artistiques.

Car c’est l’occasion de l’affirmer : l’OuPeinPo n’est pas un mouvement artistique. En revanche, il lui revient d’appliquer la potentialité aussi aux écoles, mouvements, groupes, sociétés, tendances, théories, manifestes, académies, avant-gardes, etc, et de proposer des techniques pour en finir avec les éclosions incontrôlées de nouveaux mouvements (ou avec leur marketing trop contrôlé) et créer à volonté tous les -ismes imaginables et inimaginables."

Ce texte a été publié pour la première fois dans les Monitoires du Cymbalum Pataphysicum, 1991, n° 21, pp. 5-9.

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