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Battants sur le toit
13 septembre 2006

La poésie arabe au coeur battant

La poésie arabe au coeur battant, premier battant (à suivre...)

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Pour comprendre l'art islamique, il nous faut revenir à l'Antiquité classique et sassanide, puiser dans l'Égypte copte, et appréhender les rapports que ce dernier entretient avec le christianisme byzantin et syrien ainsi que le mazdéisme iranien. Dans l'art dit islamique, la peinture était considérée comme un art mineur, il n'est pas de qualificatif pour dire ce quasi-désintérêt pour la peinture tandis que la littérature était foisonnante et les essais théoriques non moins importants. La poésie anté-islamique avait déjà assis sa réputation, une poésie louant la khamayra, l'érotisme et la beauté brute des choses. Poète de tous les temps, Abou Nawas, "l'homme aux cheveux bouclés ou pendants", écrit dans l'héritage de cette tradition, né en 757 à Ahwaz, peu de temps après l'avènement de l'Islam, d'un père arabe et d'une mère persane, il meurt à Bagdad en 815. Il est considéré jusqu'à nos jours comme le plus talentueux des poètes arabes et ne concurrence dans l'estime qu' El Moutanabi. Adonis parle d'El Moutanabi à peu près dans les mêmes termes.

Amoureux d 'Al Amin, fils de Haroun Ar Rachid qui lui succéda, cet éphèbe partage avec lui le goût des Ghelman ("Garçons"), du vin et de la chasse. Il disait : "L'homme est un continent, la femme est la mer. Moi j'aime mieux la terre ferme" Sa langue parle à propos, arrive à point nommé comme un fantassin qui aurait toujours joué du fleuret avec les mots, parant au plus pressé, à l’intersection ou point névralgique où les choses se passent, surtout fussent-elles intimes, exténuant tout effet jusqu’à la crudité qu’on lui reprochera, s’adressant à l’amant comme à l’histoire des peuples et des continents. Si ces poèmes pactisent avec les autorités, devenant l’étendard ou le porte-voix du souverain, le pouvoir de haranguer les hommes au partir du combat, ayant perdu avec l’avènement de l’islam sa part prophétique, ayant chu dans l'agora; le voilà relevé de ses fonctions par les armées de l’histoire en train de se (dé)faire, il s’est coloré politiquement dans l’unique besoin d’exister encore comme poète. On dirait aujourd’hui poésies de commande dans le double sens du mot. Mais cet emménagement dans ce nouveau statut ne l’empêche pas de trouver des subterfuges pour retrouver cette liberté perdue, clamant ses sentiments en glissant des vers « utiles » avec un art consommé relevant de la métis au sens grec qui dit l’habileté et la ruse conjuguées. Le poème construit l’objet de la pensée, la forme s’avance hardie, comme un soldat, prête à se soumettre au sujet qui la convoque de manière allusive ou directe.
En jouant d’écart, comme d’un bémol, la forme élargit le sens de toute part sans le diminuer, le concentre, le fait décoller comme sa passion inaltérée pour la langue amoureuse. Ainsi pourrait-on parler d'Adonis, si proche de sa langue qu'aucun lecteur ne peut s'interposer entre elle et lui. Ainsi lui dira sa propre fille : "j'ai le sentiment que la landue arabe c'est toi". C'est sans doute une des raison qui a conquis un Massignon, tomber amoureux de l'autre langue, la langue de l'autre, épousant sa volupté, son érotisme qui va droit au sens par des détours, des ballades courtoises de mots dans la bouche du poète avant de les dire. Le détour n'est pas prémédité, il est dans l'essence même de la langue arabe : poétique en sa nature.   

Amours Sorcières d'Abou Nawas

Je suis un grand buveur de vin
je chevauche les
sveltes faons,

et j'aime les hôtes gracieux,
ceux des bois et ailes des cieux.

Frère buveur, lève ton verre
à la santé des beaux garçons

Au ventre plat, la taille fière,
la joue où lint le raisin rond!

Buvons à nos amours sorcières,
à leurs beaux yeux si attirants

et que, dans son éclat brillant
la Beauté coule dans nos verres.

L'amour battant

Tu blâme l'amoureux, mais t'es là, en attente
pour tous ceux qui, pour toi, n'ont qu'amour et désir

Parle-moi en secret: ils peuvent t'ouïr
et moi, il me suffit de tes qui consentent

et de savoir que ton coeur est battant de peur
Je suis heureux ainsi. Car moi, je me contente

de ce que j'ai reçu, et, du fond de mon coeur,
je sens monter le feu d'une flamme éclatante.

Combien de réservoirs d'images pour dire sa passion, de coeurs battants irriguent ses poèmes comme des torrents de sable, et cette arythmie du désert, ce non temps dans le remps, ce balancement d'une langue d'une richesse syntaxique qui désigne l'amour de mille et une façons, ce mélange de subtilité et d'absence de réserve, ce style allusif et voluptueux n'eclipsant jamais le sens. Tout cela était déja là et les mots portaient en eux toutes les teintes de l'âme élégiaques ou lyriques, grisantes ou nostalgiques, féroces ou tendres. L'avènement de l'Islam, en privant le poète de toute proportion prophétique, ne le privera pas de son importance sociale.

Si la dyade (poète/ prophète) disparaît, elle se déplace littéralement vers celle du (poète / séducteur), dans cette chute programmée, elle ouvre néanmoins une marge de manoeuvre aux poètes qui ont choisi de devenir « la voix » du nouvel ordre social, tout en la contournant. Si l’exemple de Hassan Ibn Tabit confirme la réalité du poète dans sa nouvelle fonction de porte-parole de la nouvelle société qui redéfinit son statut en faisant de lui un « héros » d’un nouveau genre (rhétorique), un guerrier armé de mots et secondé, non plus par la Muse (Chaitan As Sha’ir) mais par la Foi, Hassan ibn Tabit, connu par sa couardise,  ne put se soustraire à la double malédiction –religieuse et sociale-  qu’en glorifiant Allah et son  Messager, qu’en devenant le « Chantre de l’Islam ». Mais on reconnaît davantage en lui un héros du « Logos »  plutôt qu'un artiste de l’épée. Si les Omeyyades assigne au poète un rôle politique, comme poète de cour, cela inaugure dans le même temps la voie du mécénat princier, et par conséquent l’ère où la plume est subordonnée au pouvoir et au pouvoir de l’argent. Certains ont accepté d'être des "mercenaires", et les exemples ne manquent pas pour dire combien de poètes comme El Akhtal, Abdelmalek Ibn Marouane ont prêté leurs plumes pour légitimer une cause, justifier une guerre, détruire l’ennemi présumé. Le poète, en chantant les exploits d’un maître, affirme sa gloire, conforte sa renommée, assied sa puissance et partant, il entame la légitimité de ses rivaux, leur dérobant leur lumière sur un vers cinglant. Oui, un seul vers suffisait à dénier à ceux-là toute manifestation de leur présence dans la lumière… leur "épiphanie". La poésie devenait un journal itinérant s'abreuvant de la mémoire des hommes, mémoire de l'histoire des hommes pour repousser les limites ou les confins de l’empire arabo-musulman. Elle servait à louer d’abord et avant tout les mérites du Calife, chef militaire et religieux, héros de toute la Umma. « Arbitre  important dans les sociétés aristocratiques guerrières », comme l’affirme Raphaël Lellouche, la guerre devient aussi le fait du poète. Al Bassous. Dahis wa el Ghabrae : des noms de guerres où la légende emboîte le pas à l’Histoire. Ainsi en est-il de tous ces noms sortis de ce brouhaha de chevaux qui hennissent, de sabres qui traspercent des cris qui se perdent, la vie prend feu dans la bouche du poète des guerriers. Ainsi Amrou ibn kaltoum chantait-il sa tribu :

La terre, par nous envahie, se rétrécie

Et  nos navires remplissent la  mer.

Le monde est à nous, ses habitants,

Et  si nous attaquons, nous sommes les plus  puissants.

A peine sevrons nous notre  enfant

Que les  héros  s’agenouillent devant lui.

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