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Battants sur le toit
7 décembre 2006

“Il faut se retirer dans l’ombre des voiles..."

Une pâte épaisse à la texture rugueuse, et ce poids énorme de la matière qui se mesure à l’effort qu’ont les formes à s'extraire de l’obscurité qui envahit le tableau. Le chromatisme s'autorise de tous les noirs, depuis les bleus durs, aux bruns foncés, seul un discret tracé de rouge est toléré. Quatre bouteilles surgissent de l’obscurité, comme si elles avaient été conçues ex nihilo. Derrière les épaisses couches de peinture, des bouteilles endeuillées se confondent avec le « fond » obstinément noir. Les formes émergent pudiquement du champ chromatique et s’interpénètrent avec l’espace limitrophe. La composition tient en un équilibre si précaire, à la limite du visible et de l’informe, qu’elles semblent vasciller telles les natures mortes de Morandi.
De Staël écrira en juin 1952 : “Il faut se retirer dans l’ombre des voiles, se cramponner à chaque plan à peine perceptible, si l’on ne veut pas finir en fresque de Pompei, en platitude”. Entre le visible et l’invisible, la frontière est si ténue que le tableau en son entier se donne à voir comme représentation d’un voile, au-delà duquel le désir demande à voir l'inapparent qui, pour de Staël, avait pris le sens d’une quête.

Huile sur toile, 195 x 114 cmde_stael_nicolas_schale_toepfe_und_flaschen_9701631_1_
Atelier fond orangé (Atelier), 1955
Collection particulière
stael_the_shelf_1_L'étagère

Dans son avant-dernière section, les dernières natures mortes de Staël eurent pour sujet l’atelier de l’artiste :
Atelier vert, Coin d’atelier à Antibes, Coin d’atelier fond bleu, Atelier à Antibes, et Atelier fond orangé. Dans ce dernier tableau, la couleur de plus en plus pure prévaut sur la matière qui s’efface au profit de champs monochromes imbibées de formes, de rectangles aux couleurs irradiantes et aux bords diaphanes évoquant les toiles que Mark Rothko avaient peintes dans les mêmes années aux Etats-Unis. Même si Rothko ne s’est jamais soucié de représentation, s’engageant toujours plus loin dans la conception de ses tableaux comme champs d’immersion dans la couleur et dans la sensation, son œuvre, comme celle de Staël, évoque la dimension du surgissement, de l’épiphanie, donnée par le visible et visant cet au-delà du visible. A l’époque, Nicolas de Staël, est sous l'emprise de Vélasquez qu’il a revu au Prado en 1954, il évoque l'idée de la “suprême aristocratie de cette pincelada qui, avec un minimum de matière, un minimum de brio, un maximum d’autorité, suscite un art déconcertant de simplicité et de présence.”
Dans cette dernière période les couleurs qu'il emploie sont à la fois saturées et fluides, il les applique  en couches de plus en plus minces et plonge la toile dans une lumière orangée « troublée » par quelques lignes bleues qui décrivent les outils du peintre, le contraste renforce l’intensité de la couleur dominante, supporte et sa présence ou son absence dans la toile, désormais souveraine. De Staël ménage des réserves, des zones d’absence qui dessinent la forme d’un tiroir, ou d’un châssis suspendu en arrière-plan rappelant les zip de lumière dans les tableaux monochromes de Barnett Newman. Les réserves de Staël concentrent toute l’énergie chromatique, font vibrer l’espace et changent ses tableaux en véritables drames, au sens littéral de drama qui dit l’action ; ici de la couleur, dans ses rapports de contraste, ses dissonances, ses complémentarités, ses transparences, sa lumière.
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Commentaires
S
Oui,mais ça fait loucher. J'avais un pote aux beaux-arts qui placait son oeuil à quelques petits centimètres de l'objet de ses natures mortes, ça me donnait le vertige. C'est bien toputes ces explications, ça nous rappelles "regards sur la peinture". moi, en arts, je suis nul. Je sais juste dire si ça me botte ou pas. Et encore, si je suis en présence del'artiste, je trouve toujours des qualités à l'oeuvre. Sauf si c'est du foutage de gueule, je ferme la mienne. Hmm... dis-je.
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