Hommage à Paul Célan...
CORRESPONDANCE PAUL CELAN/ILANA SHMUELI Traduit de l’allemand par Bertand Badiou Éditions du Seuil 279 pages, 22
p. 31 LE MATRICULE DES ANGES N°78 Droits Réservés Amour et mémoire CORRESPONDANCE PAUL CELAN/ ILANA SHMUELI de Thierry Cecille Une femme et un homme, ayant chacun une vie derrière soi, lourde de douleurs et de joies, de secrets et de doutes, l’un et l’autre ayant déjà bâti un couple, ayant donné naissance – se rencontrent, se reconnaissent, essaient alors de vivre un amour, malgré les entraves intimes et la distance – mais échouent. C’est une telle tentative d’aimer – et, pour Celan, en outre, un essai de survie – que nous pouvons découvrir dans cette correspondance, brève mais intense (l’essentiel des lettres est écrit durant quelques mois, de l’automne 1969 au printemps 1970, le suicide de Celan survenant en avril 1970). Celan, poète de langue allemande, vivant alors – difficilement – en France, se débat en effet aux frontières de la folie, dans les affres du doute sur soi et sur l’existence. S’il commence à être reconnu, il n’en demeure pas moins fragile : quand cette histoire commence, il sort d’un séjour en asile de quelques mois. Lui et Ilana Shmueli se sont connus il y a bien longtemps, de l’autre côté du monde,yiddishland qui disparaît définitivement avec la Shoah. En 1944, après avoir enduré le ghetto et la menace de l’extermination, Ilana parvient à rejoindre, avec sa famille, la Palestine, et Celan, lui, gagne Paris – mais ses parents sont morts dans les camps. Dès lors il se battra avec et contre la langue des bourreaux – mais elle demeure aussi la langue d’Hölderlin, de Rilke et de Kafka – pour dire ce que peut être la vie dans un monde survivant, en des poèmes à la syntaxe rude, aux métaphores énigmatiques. De tels poèmes, obscurs, nous en lisons ici, certains sont offerts à Ilana, pour accompagner ce que les lettres tentent de dire – ou est-ce l’inverse ? Ilana effectuera deux séjours à Paris, Celan, lui, la retrouvera, durant quelques jours, à Jérusalem, qu’il découvrira alors – bien entendu ces jours partagés vivifieront ce qui entre eux s’établit et prend peu à peu le nom d’amour – mais le fragiliseront peut-être aussi. C’est que vivre au présent, après un tel passé, exige des forces que Celan, sans doute, ne possède plus. (...) Et pour Ilana,« la rencontre avec Celan et son douloureux débat intérieur sur les questions d’identité et d’appartenance, sur les mots et la langue, éveillèrent en sentiment d’“étrangèreté”. » Ilana ne cesse de lui parler, et lui écrit donc bien plus souvent, et de manière plus développée, qu’il ne lui répond. Elle en prend son parti, elle sait sa douleur : « là aussi un sentiment de profond respect, presque une peur, de ta sensibilité presque sismographique, qui t’expose tant à presque tout ce qui te touche, même à moi. (...) Relire les poèmes de Paul Célan