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Battants sur le toit
20 décembre 2006

Les gardiens du «temple» : Belmonte y templar

Je découvre ce texte qui répond à mon indigence à traduire le templar de Belmonte sur le site :

TOROS Y FOTOS.COM

J E U D I   1 9   S E P T E M B R E   2 0 0 2
TAUROMACHIE

Les gardiens du «temple»
Belmonte serait le père de cette façon d'être face au toro.

Le temple (prononcer temple), pierre philosophale de la tauromachie, a été révélé il y a quatre-vingt-dix ans.
Pour Santi Ortiz, journaliste à 6 Toros 6, il est né le 25 août 1912 à Séville, dans la Maestranza, lorsque Belmonte, le torero de la stupéfaction, a toréé comme on n'avait jamais vu toréer le novillo Guitarrito, du marquis de Tovar. La novillada était organisée par la confrérie religieuse de la O et il n'est pas innocent que l'épiphanie du temple se soit manifestée sous le double signe de la religion et de la musique accroché au nom d'un toro.
La notion sibylline de temple justifie­rait un gros essai phénoménologique tant le mot et la chose qu'il désigne, dans la tauromachie et hors d'elle, s'applique à toute sorte de domaines.
Historiquement, le mot n' existe pas dans les dictionnaires tauromachiques avant Belmonte, même si le père de Marcial Lalanda prétendait avoir vu le torero de Cordoue Guerra templer des toros à la fin du XIXe siècle. On dira sommairement que templar, c'est ajuster sa cape et sa muleta à la vélocité de chaque toro-et «chaque toro est un monde», affirmait Ordoñez - donc peu à peu, par le miracle du temple, faire que sa sauvagerie s'amenuise et se métamorphose en acquiescement, et plus si affinités. Pour rester dans le musical, on dira ralentir la passe ou en donner l'illusion, problème jamais tranché.
Pointe de lait. Sur la faculté de polissage du temple, les garçons de café sont au plus près de la réalité tauromachique lorsqu'ils vous servent un café templaíto, un café avec un peu de lait qui n'est pas un café au lait mais un café dont l'amertume a été subtilement reniée par une pointe subtile de lait. On sautera sur la comparaison laitière.
L' évocation des faenas templées passe en effet étrangement par cette image du lait. Ce sont des faenas qui donnent l' impression d'un écoulement liquide, comme émaillées et denses, mais que chaque torero déverse selon sa personnalité - si personnalité il y a. Le temple de Antoñete, torero aux os décalcifiés, donne à voir du fragile et du cristallin. Dans le temple d' El Cordobes, on apercevait une domination rageuse, comme une revanche à prendre. Le temple d' Ordoñez était sensuel, puissant et réellement laiteux. Celui de Ponce est informatique. Celui de Tomas livide et écrémé. Celui de Curro Romero? Une architecture nuageuse. Celui de De Paula, une pantelante déchirure.
Le temple n'est pas une technique, c'est un état fusionnel, une réciprocité, une inflexion de l'inflexible qui permet de conduire l'éléphant par un cheveu. Ce don étrange, qui imbibe la passe de sentiments et étoile de consonances le rapport conflictuel avec un toro, Belmonte en a éprouvé un jour la magie en Suisse. Il est à Davos. Il se promène en tenant par la main sa fille Blanca. Tout à coup, il aperçoit au loin un ami à lui, le  Péruvien Rabino, qui fait la queue pour monter dans un autobus. Blanca le supplie de presser le pas pour rattraper Rabino. Il y a trop de monde dans la rue. Belmonte s'immobilise et répète dans sa tête : «Rabino arrête-toi, arrête-toi.» Rabino s'apprête à monter dans l'autobus. Se ravise, reste sur le trottoir. Il finit par être rejoint. Il dira : «C'est comme si une force irrésistible me tirait en arrière, m'empêchait de monter.»
Fièvre aphteuse. Belmonte confiera un jour que cette «force hypnotique» qu'il sentait en lui l'effrayait un peu. Elle émanait de ce temple, certainement découvert la nuit près de Séville lorsqu' il allait affronter clandestinement des toros et connaissait avec eux ces moments miraculeux d'harmonie, surgis du froid, de la peur, de la boue. Belmonte ne fait pas passer le sens du temple par la technique. A l'écrivain taurin péruvien Abraham Valdelomar, il avait dit : «je ne donne pas mon opinion sur les problèmes techniques de la tauromachie que vous traitez parce que, comme vous le savez, je n'entends pas un mot à l'affaire.» Belmonte ne pensait pas que le temple était une adaptation à la vitesse du toro. Il pensait que dans le temple, c'était l'homme qui s'imposait au toro et non l'inverse, et prétendait avoir, dans un moment d'inspiration, toréé lentement des toros rapides. Mais comme il ne reculait pas plus devant les contradictions que devant les toros, il affirmait aussi que le temple, il avait commencé à le pratiquer une année où les toros souffraient de fièvre aph
teuse. Fièvre qui s'attaque aux sabots et ralentit leur galop.
A l' inverse, Paco Camino met le toro à l'origine de cet échange. Il pense que le temple, c'est le toro qui le dicte: «Si le toro attaque lentement, tu dois le toréer lentement. S'il attaque avec brusquerie, ta tauromachie sera brusque. Je n'ai vu personne qui, s'il lui sort un toro qui donne de violents coups de tête, prenne la cape et le torée lentement .»
Rafael de Paula, lui, si. Il a vu Antonio Ordoñez templer à la cape des toros violents. Mais il précise qu'on peut toréer lentement et ne pas avoir de temple. Pour Paula, le temple est un «secret» que le toro doit d'abord avoir en lui. «Ce secret que nous appelons "temple" permet de s'accoupler au rythme que le toro marque.»
Les toreros sont bien d'accord. Le temple n'est pas une science, et la tauromachie, expliquait le très «scientifique» Luis Miguel Dominguin, «n'est pas affaire degéométrie». Lui définissait le temple comme une «qualité», terme vague, mais qui énonce bien le flou d'un phénomène irréductible àl'analyse.
Sans à-coup. A propos du temple, Damaso Gonzalez, qui en fut le pape dans les années 70, pense, comme le Prince de Ligne et comme beaucoup d'autres, que «le travail tue le naturel et offense la liberté.» Son temple si efficace de moissoneurs de toros durs, ce n' est pas après l'expérience de centaines de corridas ou les gestes mille fois répétés de la tauromachie de salon qu'il l'a acquis. C'est débutant qu'il a pris conscience de ce don en lui de conduire les toros sans à-coup et d'endormir leur brutalité. Après plus de vingt ans de carrière, il se souvenait que la passe la plus longue et la plus lente qu'il ait jamais exécutée, il l'avait donnée dans un village, à ses débuts. «J' étais sans expérience Ça m'a don­é à penser que le "temple" était quelque chose que je portais à l' intérieur de moi, dans mes poignets, dans ma main. Une chose avec laquelle j'étais né.» L'écrivain José Bergamin n'écrit pas autre chose dans la Solitude sonore du toreo : «je crois quel  l' art de toréer comme tout art (s'il est vivant, créateur, ou libéral comme on disait autrefois) n'a pas de technique. »
Selon Curro Romero, le temple est «du repos», «du repos dedans». «Les jours où je torée j'essaie de me "templer" dès que je me lève.» C'est ainsi qu'il torée le toro de son anxiété et soutient qu'on ne le voit jamais, comme font tant d'autres, demander cent fois à son valet d'épée comment sont les toros, ou tourner comme un lion dans sa chambre. Il se temple tellement qu'il lui arrive de s'endormir comme un bienheureux à l'hôtel avant de toréer, jusqu'à ce que Gonzalito, son valet d'épée, le réveille en frappant doucement à la porte : «Maestro, c'est l'heure.» Il prend alors «un petit café ou, mieux, un cognac», comme s'il allait simplement taper la belote. Il tache de se maintenir dans cet état d'apesanteur mentale le plus longtemps possible, parce que «lo que queda es terrible» : ce qui reste à faire est terrible.
JACQUES DURAND

TOROS Y FOTOS.COM

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