Giacometti, un regard sans concession

Il est très difficile de parler d’un homme qui n’a d’égards que pour la présence, et dont le regard incorruptible ne peut se laisser distraire par des « beautés » qu’il sait «  éphémères » ; vous avez beau lui présenter Venise et ses splendeurs, il n’aura d’yeux que pour Le Tintoret, auprès de qui il passera ses journées, entre les murs du musée, face à ces portraits nés de la rigueur. Cette rigueur dont il vient et qu’il a épousée en seconde noces. Venise devait sembler trop baroque devant la rugosité de ses paysages intimes, ces canaux, la lagune, ce labyrinthe de ruelles, les palais, ne l’ont pas retenu ; ce n’était pas cette présence-là qu’il recherchait, mais davantage celle d’un homme qui avait mis tout sa présence sur la toile, par la seule force du regard…comme plus tard Cézanne avait réussi, à la force du poing, à « inscrire » sur la sienne celle de la montagne Sainte-Victoire.  Incorruptible regard de ceux qui ne s’accordent aucune concession ni complaisance. C’est une des formes d’ascèse des plus « raides » ou abruptes, comme si leur feu intérieur provenait du frottement d’un silex. Ce ne sont pas seulement des corps accidentés qui se lèvent comme des armées, mais des corps consumés dans leur propre chair, tellement secs et rugueux, si sévères, qu’ils peuvent s’imposer d’autorité par leur seule présence,... langage émacié, coupant, saillant comme la taille d’un regard de silex qui nous lègue des corps calcinés ou foudroyés, bourgeonnant d’excroissances et de cavités. Que reste  t-il de la cage thoracique enfoncée ou supprimée ? Et d’où provient ce grand influx nerveux ? Confronté dans un impitoyable face à face, Alberto est tout courage devant l’énigme de la présence. « La grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour, dans le même visage. C’est plus grand que tous les voyages autour du monde. », dira Alberto.