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Battants sur le toit
18 septembre 2006

Pierre Corneille, cet anticonformiste par

Pierre Corneille,

cet anticonformiste

par Jean-Gérard Lapacherie

Né à Rouen le 6 juin 1606, Pierre Corneille aurait dû être célébré à la hauteur Du Cid, il y a deux ans la France faisait honneur à Victor Hugo à l'occasion du bicentennaire de sa naissance, Corneille n'a pas joui des mêmes faveurs, trajectoire contrariée de son vivant et qui semble se prolonger au-delà des siècles. Flaubert en eut été attristé, et le Cardinal de Richelieu n'eut sans doute pas approuvé qu'on oubliât de fêter cet homme qu'il admirait, (cette amitié dérange-t-elle encore au point de sacrifier l'auteur d'Andromède, de L'illuson comique et Du menteur sur l'autel de l'histoire, non parce qu'en recherchant les manifestations sur cet indéracinable rouannais, je n'ai recensé qu'un seul colloque organisé par la seule à Université de Rouen, précisément, la France s'est distinguée par son immense discrétion, comme s'il ne fallait plus faire battre le coeur de Rodrigue...), cet réserve est de mauvais aloi, la France éprouverait-elle quelque honte injustifiée à redonner la parole à cet orfèvre du langage des sentiments, ce dramaturge des plus talentueux que la france ait connu, même si les moralistes du XVII ème avaient barre sur le dramaturge infléxible aux lois du moment, comme si l'on devait retenir jalousement l'un de ses plus beaux fleurons, pour ne pas attirer un surcroît d'attention sur une gloire prétendûment usurpée (tout cela parce que L'Académie lui refusa une première fois ses bras avec cet argument massue que Rouen n'est pas Parise ..., pour l'accueillir quelques années plus tard en son sein, malgré elle, malgrélui (puisqu'il lui fallut vivre un nomdans la capitale pour obtenir les grâces de l'Institution?).Sans doute, ne veut-on pas encore aujourd'hui ériger ce poète des sentiments en exemple car ce pauvre Corneille avait tout pour déplaire aux Puissants par son anticonformisme dont il avait fait sa norme. Premier mauvais point : formé par les Jésuites auxquels il est resté fidèle jusqu’à sa mort, puisque traduisant Corneille est un catholique fervent (troisième tare), qui a servi avec ferveur la monarchie administrative qui a fait la France (quatrième tare) et qui a toujours préféré la grandeur à l’abaissement (cinquième tare). Pour les Modernes, Corneille n’a que des tares. Son œuvre pâtit du discrédit dans lequel sont tombés la République, la nation, la France et toutes les gloires françaises, les écrivains du XVIIe siècle, le classicisme, l’héritage de la Rome antique, dont il est un excellent connaisseur. Il pâtit aussi du parallèle obligé avec Racine : Corneille peint les hommes comme ils devraient être, Racine les peint tels qu’ils sont. Ce parallèle inventé par La Bruyère tourne toujours à l’avantage de Racine, jugé moins bavard, moins prolixe, moins superficiel, moins éloquent, mais plus vrai. Certes, depuis deux siècles, les critiques hésitent ou fluctuent, dès qu’ils ont à porter un jugement sur son œuvre. Au XIXe siècle, ils ont fait de la grandeur d’âme, associée à l’exaltation du moi, le fondement de « l’univers cornélien » - en liaison avec les valeurs de l’aristocratie que la monarchie administrative de Richelieu, Mazarin et Colbert a tenté d’abaisser. Les Républicains des IIIe et IVe Républiques ont fait de Corneille un écrivain bourgeois, un peu à leur image, qui aurait chanté à la fois les devoirs familiaux et l’héroïsme national et fait de la volonté la force capable de réprimer les ferments d’anarchie asociale qu’alimente la recherche de la gloire à tout prix ou un sens exacerbé de l’honneur. Dans les années 1950, Corneille a été pendant quelques années en phase avec son temps. La France pansait les blessures de la guerre. L’heure était encore à la gloire, à l’héroïsme, à l’exaltation des combattants de l’ombre et des jeunes gens qui avaient sacrifié leur vie, leur famille, leurs amours, leur carrière à l’honneur ou à la liberté de leur pays. Jean Vilar, Gérard Philippe, le TNP (Théâtre National Populaire), qui était national et populaire (aujourd’hui, les débris qui en restent sont mondialisés et élitistes en diable), ont fait, au Festival d’Avignon, de la tragi-comédie du Cid, un hymne à la gloire héroïque et à la jeunesse aimante. Le chant fut beau, mais ce fut le chant du cygne. Aujourd’hui, Le Cid n’est plus joué, comme plus personne n’ose jouer la tragédie de Voltaire Mahomet ou le fanatisme. La lutte de libération nationale des Espagnols contre les Maures, id est les envahisseurs arabes et berbères, et la résistance à l’occupation islamique de leur pays – ce qui forme le sujet du Cid – vaudraient à Corneille un     Au Ministère de la Culture, il existe un service qui est chargé de célébrer les hommes qui ont marqué l’histoire de la France, tant sur le plan des arts que de l’histoire ou des institutions politiques. Ce service n’a pas célébré l’anniversaire de la victoire d’Austerlitz : il s’apprête à récidiver avec Corneille – enfermé à double tour avec les encombrants de notre patrimoine.

procès de Moscou en sorcellerie et en déviation idéologique. Le résultat de tous ces discrédits est que Corneille est de moins en moins souvent étudié dans les universités, qu’il a disparu des programmes du collège, que plus aucun lycéen ne lit, ne serait-ce que Le Cid ou Horace ou Cinna ou Polyeucte et que ses pièces ne sont quasiment plus jouées, à l’exception de quelques-unes de ses comédies : L’Illusion comique, Le Menteur, la Galerie du Palais.

Contre notre époque et puisque l’Etat y rechigne, il nous faut rendre hommage à Corneille, ne serait-ce que parce qu’il a été un père de famille soucieux d’éduquer et de placer ses enfants, tout en écrivant l’une des œuvres les plus fécondes et les plus riches de notre patrimoine. Pendant quarante-cinq ans, de 1629 à 1674, presque jusqu’à sa mort, Corneille n’a pas cessé d’écrire, de composer, de rédiger : un travail acharné, récompensé par une élection à l’Académie française en 1647 et la protection des princes et des ministres qui se sont succédé, Richelieu, Anne d’Autriche, Mazarin, Fouquet, Louis XIV. Durant les troubles de la Fronde, il est resté fidèle au Roi, malgré les complots et les manigances des féodaux.

En réalité, son théâtre n’est pas l’école de la gloire héroïque et il n’a rien de romantique. Corneille s’attache, en respectant ce que lui enseignent les historiens antiques, à illustrer les lois éternelles de la politique. L’essentiel est l’ordre, fût-il injuste. Ce à quoi il incite ses contemporains, c’est à se soumettre, en bons chrétiens qu’ils sont ou qu’ils prétendent être, à l’ordre du monde, puisque c’est celui que la Providence a voulu. C’est le choix des Horaces, c’est celui de Nicomède, c’est celui d’Auguste. Le héros ne bouleverse pas la société, il ne met pas le royaume cul par-dessus tête, il ne chamboule pas l’ordre des choses, il accepte tout cela, qu’il soit un personnage de tragédie ou de comédie. Dans son œuvre, Corneille reste un officier du roi dévot et timide. Cela ne l’empêche pas, bien au contraire, d’explorer les voies que lui offre l’art de son temps et d’inventer de nouvelles formes. Bien qu’elles empruntent des formes variées, les évidences sont les mêmes, qu’elles soient la règle à Byzance, à Rome, à Valence ou à Paris. Corneille est aussi l’auteur d’une adaptation en vers français de la célèbre Imitation de Jésus-Christ, oubliée aujourd’hui, écrite en latin au XIVe siècle sans doute par Jean Gerson, qui a été chancelier de l’Université de Paris. Corneille n’est pas seulement un auteur de théâtre, maîtrisant l’art du dialogue et la rhétorique enflammée de l’héroïsme. C’est aussi un poète lyrique et mystique. Avec ce long poème, il ajoute un versant mystique à son œuvre lyrique dans laquelle les « Stances » du Cid occupent une place importante. Lire l’œuvre de Corneille, c’est faire preuve d’anticonformisme et c’est prendre conscience des riches potentialités d’expression et d’art que recèle encore la langue française.

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