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Battants sur le toit
26 octobre 2006

Venise renaît à Vienne

Couverture_Bellini  D.R., Couverture du catalogue de l'Exposition Vénitienne

Trois des plus grands représentants de la Renaissance vénitienne viennent des plus célèbres musées du monde : du Louvre, de La National Gallery of art of Washington,...  cet événement prend corps à Vienne et nous fait remonter aux trente premières années du XVIe siècle. Commencée le 17 octobre de ce mois, elle se poursuivra jusqu'au 7 janvier, des forfaits demi-pension pour trois jours sont proposés pour cette réunion au sommet de ces trois peintres dont j'avais mis quelques peintures en avant-première, un peu déçue que véronese ne figurent pas parmi eux... Mais le plaisir de voir des toiles dispersées au quatre coins du monde ici enfin réunies, à de quoi consoler...

Bellini,  Giorgione, le Titien : la renaissance de la peinture vénitienne se déplace à Vienne,  sous la direction de David Allan Brown et Sylvia Ferino-Pagden

Le Concert champêtre et L'Homme au gant ne sont pas pas les seuls prêts exceptionnels à avoir été consentis par leurs détenteurs, le corpus de toiles est si riche qu'il invite le visiteur à se pencher sur des questions qui se sont posées à la « Renaissance de la peinture vénitienne » après 1500. Question pas seulement d'ordre formel, mais de fond... Bellini, Giorgione et le Titien en sont les figures emblématiques pour les experts ; l'exposition ne les isole pas, bien au contraire, de la production de Lotto, de Palma Vecchio et du futur Sebastiano del Piombo, ils se tiennent pour signifier qu'ils appartiennent tous au même climat poétique et à cette arène où la concurrence s'autorisait des plus implacables luttes et rivalités dont nous avons une connaissance plus fine aujourd'hui (suivra un papier sur ces luttes intestines  politisées). L'analyse la plus sévère n'en viendra jamais à bout du génie vénitien, car le génie, la vie (genos) est le mystère même, d'où l'ampleur de cet événement. Le catalogue de cette exposition atteint à un équilibre rare entre texte et images, la clarté du propos visée dans les essais et la synthèse des connaissances dans les notices sont exemplaires et pourraient faire figure de modèle... Ni bavardage inutile, ni paraphrase n'ont ici leur place, tout est dit dans le seul souci d'accompagner et de servir le regard sur les quelque soixante tableaux triés, cela va s'en dire, sur le volet, soit suivant la qualité intrinsèque à chaque oeuvre... Qu'il s'agisse de l'influence flamande et allemande ou de la dynamique entre verticalité sacrée et horizontalité profane dans les Vierge à l'Enfant de Bellini et du jeune Titien, ou encore de l'émergence de ces figures féminines, qui ne se dévoilent jamais entièrement de la tête aux pieds mais dans un "mi-corps" porteur d'une charge érotique différente, le texte va chaque fois à l'essentiel dissociant clairement le connu de ce qui ne l'est pas..

     Giorgione(1477/1478-1510)
     Les trois philosophes
     Huile sur toile - 123 x 144 cm
     Vienne, Kunsthistorisches Muséum
     Photo : Service de presse

 

Titien_Allegorie_conjugale_Louvre_300_par_293

 

Giorgione_Philosophes_small

Les récentes radiographies pratiquées par David Alan Brown, sur le célèbre tableau de Giogione : Laura révèle le soin avec lequel le peintre s'est appliqué à donner au sein de Laura cette force de suggestion et d'évocation érotiques apportée par la transparence du drapé autour duquel il s'enroule (ci-contre). L'érotisme de cette toile déconcerte d'autant plus que les spécialistes sont divisés : s'agit-il d'une scène de mariage, du portrait d'une courtisane, ou des deux? Laura de Giorgione et la Flore de Titien sont deux tableaux jumeaux. Une radiographie des Trois philosophes du même Giorgione a permis de déceler un repentir qui contribue à renforcer l'idée que les Vénitiens cherchaient la meilleure expression possible du concept à l'instar des peintres toscans, (par l'économie d'esquisses préparatoires déterminantes pour la future composition). Le visage de l'homme chenu, coiffé à l'antique qui figure la faculté réflexive de l'homme, fut d'abord traîté de manière auréolée, comme si Giorgione souhaitait donner une expression plus immédiate de la pensée au faîte de ses possibilités.

 

Titien_Concert_small
Le Titien (vers 1490-1576)
Le concert champêtre
Huile sur toile - 105 x 136,5 cm
Paris, Musée du Louvre
© Centre de recherche des Musées de France

Le Concert champêtre marque le point culminant de la peinture de cette époque, il fut longtemps attribué à Giorgione avant d'être restitué au jeune Titien.Un tableau dont la radiographie a enregistré des retouches invisibles à l'œil nu, qui ne font que souscrire à l'idée de ce souci constant de "perfection" propre à ces trois peintres, s'appliquant à représenter les personnages centraux encadrés par deux nus...Cette pastorale ne saurait être réduite à un simple marivaudage mais met en scène des dyades: ville/ campagne, musique savante/tradition rurale, nature et culture dans un dialogue serein et musical d'une douce journée. Le Titien semble avoir su  réconcilier les contraires, en les unifiant dans un concert de couleurs....

Palma_Poete_small
Palma Vecchio (1479/1480-1528)
Portrait d'un poète, vers 1520

Huile sur toile marouflée sur panneau -
83,8 x 63,5 cm
Londres, The National Gallery
Photo : Service de presse

                               Bellini_Madone_Pre_Londres_300_par_236 Bellini, Madone, Huile sur toile, © service de presse


                                                                                                                                 

On a longtemps apostrophé Bellini à la fois auteur de la Vénus d'Urbino et de la Madone, l'accusant d'aller avec légèreté du vice à la vertu. La première des bacchanales commandée par le duc d'Este n'est pas moins voluptueuse que les tableaux du Titien. Pourtant la volupté se fait comme chez ses confrères plus allusive que manifeste, au gré des corps qui s'entraînent l'un l'autre. 

Le catalogue s'intéresse également et surtout aux portraits masculins dont les approches diffèrent d'un peintre à l'autre : de la pose mélancolique chère à Giorgione au discours plus viril d'un Titien, "le portrait concentre les principales procédures visuelles de la peinture vénitienne des années 1500-1530, la tension entre réalisme et sources antiques, lien affectif avec le spectateur et démarche symbolique".

Il ressort de cette exposition qui fut présentée quelques mois plus tôt à la National Gallery of Art de Washington une impression moins paisible qu'il n'y paraît ; les allusions plus ou moins directes font penser que Venise n'offrait pas à cette époque-là un visage aussi pacifié...

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